Après une bonne
nuit (fraîche mais sous un monceau de couettes) dans notre petit hôtel
tibétain, nous nous réveillons en pleine forme sous notre plafond décoré de
couleurs vives.
Dehors, il fait moins deux, le ciel est bleu, le soleil brille
et les pèlerins se dirigent vers le temple : tous les trois ou quatre pas,
ils se prosternent profondément (un peu comme s’ils faisaient des pompes…) puis
se relèvent et continuent leur chemin.
C’est un parcours assez
athlétique : leurs genoux sont protégés d’une espèce de grand tablier et
leurs mains recouvertes de morceaux de tissu ou de cuir… Nous n’osons pas trop
nous approcher pour prendre des photos.
Quand YZ arrive,
nous sommes fin prêts et embarquons docilement, sans un mot de trop, vers de nouvelles
aventures !
Nous roulons en
silence au milieu des steppes et arrivons ainsi à Hezuo, capitale régionale et
lieu de transit entre le Gansu et le Sichuan. Nous sautons allègrement
l’immense Tso Gompa (principal monastère de la région) ainsi que le palais
Milarepa (peintures murales colorées, divinités tantriques et météorite sacrée,
etc.) dont l’architecture en forme de tour est inhabituelle dans le monde
tibétain. Tout ce que je vous en dis est un témoignage indirect (divers guides)
car nous ne prenons pas la peine, ni le temps, de faire une pause dans ces
endroits que nous traversons pour la première (et sans doute dernière) fois de
notre vie !
Les champs de céréales (orge ?) et les douces collines où
paissent des moutons et des yacks se succèdent, le tout ponctué de villages
tibétains dont les maisons adossées à la montagne sont équipées de vérandas
orientées plein Est.
Il fait un temps radieux : 4°, ciel bleu sans un
nuage, collines vertes parsemées des tentes blanches des nomades et des
troupeaux de moutons et de yacks.
Nous passons allègrement les 3600 mètres
d’altitude avec à l’horizon proche les sommets enneigés qui culminent à 5-6000
mètres, quand nous entrons dans la province du Sichuan, tout près de Langmusi,
l’un des sites où il est prévu que nous ferons une pause dans notre course
folle.
Le site est
enchanteur et, d’après notre guide, mérite plusieurs jours de détente :
visite des nombreux monastères ; randonnées à pied ou à cheval dans des
prairies escarpées, des forêts persistantes, des sommets enneigés ; le
tout sous la lumière éblouissante, le ciel bleu, etc.
Mais, calmons nous :
nous allons y passer 2 heures, pendant que nos acolytes se livrent à leurs
activités favorites ; à savoir faire laver la voiture et aller manger !
YZ ne les accompagne pas, mais part à la chasse au trésor, en quête de quelques
photos ethniques et authentiques.
Pour JL et moi, c’est l’un des moments les
plus frustrants de ce voyage car nous avons perdu même l’envie d’aller faire
une balade hors des sentiers balisés, pendant la misérable heure qui nous est
concédée.
Nous visitons l’un des temples (ils sont innombrables, disséminés
dans toutes les collines environnant ce site exceptionnel) puis flânons au
milieu des résidences des moines, discutons avec quelques enfants qui nous
entourent... Bref, nous restons aux environs du temple principal et nous
attendons… qu’on en finisse !
Quand nos acolytes
reviennent, nous sommes prêts à partir : ce n’est pas le moment de
traîner ; il est 14 heures et il nous reste environ 350 km à parcourir sur
des routes de montagne sans doute agrémentées de quelques chantiers,
embouteillages, etc. Détail piquant : SR, dont j’ai déjà signalé le solide
appétit et qui trimbale dans le coffre de son Cherokee des provisions en tout
genre (une véritable épicerie) insiste pour nous munir de quelques vivres, ce
que nous déclinons : « nous n’avons pas faim ». En désespoir de
cause, elle décide de nous hydrater : nous n’échappons donc pas à quelques
bouteilles d’eau. Nous n’en croyons pas nos yeux : elle trimballe depuis
Pékin (5500 km) des bouteilles de 25 cl d’eau… d’Evian !
Nous roulons en
silence sous un soleil intense. Le paysage est magnifique : montagnes
enneigées étincelantes au loin, et murailles de grès rose le long de la route ;
jusqu’au moment où nous arrivons à l’entrée d’un tunnel au bout duquel nous
devrions (enfin !) retrouver une autoroute… En fait, cela va prendre un
certain temps car le tunnel est bloqué par des travaux : nous sommes
entourés de camions énormes et puants qui se pressent sur deux et même quelquefois
trois files alors qu’une seule voie entre dans le tunnel… sans compter les
petits malins qui essaient de forcer le passage en se ‘faufilant’ ! Nous
mettrons quarante minutes à parcourir ce tunnel qui fait environ 1,5 km. Je ne
sais pas combien d’heures y passent les ouvriers qui travaillent dans la
puanteur des gaz d’échappement et le bruit infernal des moteurs. Quand
nous arrivons à l’air libre, on nous annonce un péage !
Nous sommes
maintenant sur un immense plateau couvert de steppe, peuplé de moutons et de
yacks et parsemé de tentes des nomades qui gardent les troupeaux. Il est 17
heures et il nous reste 200 km à parcourir : c’est interminable. JL
et moi sommes obstinément muets, complètement écœurés par la désinvolture avec
laquelle nos compagnons nous traitent, nous et l’accord passé il y a moins de 3
jours.
Vers 18 heures, nous faisons une pause dans un village anonyme ou plus
exactement à l’entrée de ce village : nécessité oblige ; ces dames
vont faire pipi dans les broussailles avoisinantes… Nous avons atteint 3840
mètres d’altitude et le fond de l’exaspération et de la frustration : en
effet, nous traversons plusieurs villages tibétains magnifiques sans leur
accorder un regard, ni même ralentir notre course folle. Il ne faut pas faire
baisser la moyenne et, de toute façon, la nuit ne va pas tarder à tomber. Qu’à
cela ne tienne, ce sera encore plus amusant de rouler de nuit, d’autant plus
que nous abordons une route en lacets de plus en plus étroite et de plus en plus
fréquentée. En effet, nous arrivons vers l’un des sites les plus réputés de la
région – Jiuzhaigou, pris d’assaut en cette période de vacances. Il fait nuit,
la circulation est infernale et les conducteurs pressés
d’arriver prennent – nous font
prendre – des risques inconsidérés. Bref, l’ambiance est plus que pesante quand
nous arrivons dans l’hôtel excentré que nous a réservé WJ. Ici encore, nous
bénéficions d’un tarif spécial ‘étrangers’, assorti d’un service
grincheux : le bonheur ! JL sort de son mutisme prolongé pour
déclarer que nous sommes vieux et fatigués et que nous le serons encore demain
toute la journée : nous souhaitons rester seuls, et piétons, pendant au
moins pendant 24 heures…
Résultat des
courses : enfin seuls en compagnie de ce bon vieux Jack Daniels qui va en
prendre un vieux coup, nous retrouvons notre sérénité et dressons des plans
pour demain !