mardi 23 octobre 2012

Lundi 10 Octobre : de Xi’an à Pingyao


Encore une grosse étape en perspective pour rejoindre Pingyao : à vrai dire un peu plus de 500kms… Nous décollons donc de bonne heure, sans même prendre de petit déjeuner : « à l’hôtel c’est trop cher et en ville, c’est fermé… alors on le prendra dans une station service » a décrété YZ qui, soit dit en passant ne semble pas être de très bonne humeur. Xi’an est sous une brume épaisse et très humide, le périphérique que nous empruntons est complètement bloqué, etc. Nous ne sommes même pas sûrs d’être sur la bonne route : en effet, ce matin, la technique renâcle et le GPS est muet ; il ne reprend vie que lorsque nous n’en avons plus besoin, ayant atteint par hasard l’autoroute… et la bonne en plus ! Après avoir traversé le fleuve Bahe, la route est à nous et nous fonçons dans le brouillard à la recherche d’une station service… Il faut bien mettre de l’essence dans le réservoir et, accessoirement prendre un petit déjeuner… Nous roulons depuis une heure et demie quand nous y parvenons. Il pleut, nous sommes garés dans une flaque, il nous reste plus de 400 kms à parcourir pour arriver dans un endroit que nous n’avons pas choisi, et c’est toute l’absurdité de l’entreprise dans laquelle nous sommes embarqués qui nous saute aux yeux...
Ce voyage ne nous ressemble pas du tout : depuis presque 30 ans, et presque autant de voyages, nous avons toujours essayé de minimiser la durée des déplacements pour pouvoir passer du temps sur des sites, dans des villes ou dans des environnements choisis à l’avance. En tous cas, les trajets n’ont jamais constitué, en eux-mêmes, une motivation. Ici, c’est précisément l’inverse : les visites (magnifiques mais d’une brièveté d’autant plus frustrante) que nous avons faites n’ont été que des flashes perdus dans un océan de grisaille et d’ennui… et, détail qui tue : le temps qui nous reste ne devrait pas nous apporter plus de satisfaction. Il nous reste les bonnes résolutions (plus jamais ça !) et la dérision (si nous écrivions le « Guide de l’auto-routard » ?). Mais, trêve de balivernes : il nous faut repartir, gonflés à bloc pour aligner 437 kms de morosité, sous une petite pluie fine qui ne contribue pas à nous remonter le moral.
Deux heures et quelques dizaines de camions plus tard, je n’en peux plus : la circulation est anarchique, les camions nous doublent tantôt à gauche tantôt à droite mais toujours en nous envoyant de grosses gerbes d’eau, YZ semble somnoler au volant, bref « je veux m’arrêter et ne pas remonter en voiture avant une demie heure…au moins ! » YZ, qui avoue lui-même être fatigué, obtempère et demande à JL de prendre le volant après cette pause.

Pendant 200 kms, JL conduit calmement, YZ dort, quelques travaux nous obligent à rouler sur une seule file, bref c’est un peu plus détendu. Nous traversons le fleuve Jaune, empruntant un pont gigantesque pour pénétrer dans la province du Shanxi où alternent les collines de lœss orangées et ravinées façon canyon, les cultures en terrasses et la plaine. De part et d’autre de l’autoroute, le terrain semble très friable et les hauts murs qui nous entourent cèdent par endroits sous la poussée d’éboulements. Après un stop express (bol de nouilles, essence, café) YZ reprend le volant pour la dernière centaine de kilomètres et nous conduit jusqu’aux murailles de Pingyao.


La ville est entièrement entourée de remparts, pour la plus grande part d’origine (14ème siècle) et la circulation automobile y est interdite de 8 heures à 18 ou 19 heures. Il faut donc appeler l’hôtel et un employé vient chercher les clients à l’une des portes.



C’est ainsi que nous nous retrouvons dans un hôtel ‘typique’, copie des résidences de l’époque Qing (à partir du milieu du 17ème siècle).
 Les chambres y donnent sur une cour et comportent des lits traditionnels appelés kang.



Dans un prochain message, je vous ferai un petit topo sur les principales curiosités que recèle la ville de Pingyao (remparts, maisons traditionnelles, bâtiments administratifs, mais aussi ameublement traditionnel dont les kang).




Pour l’heure, nous prenons possession des lieux puis allons faire un tour en ville. YZ est maussade : il couve un rhume mais ne prétend pas absorber le moindre médicament ‘occidental’.

Tout ce qu’il veut, c’est surfer sur internet en buvant sa tisane ...
Dernière facétie de notre ami : il déclare qu’il ne compte pas aller visiter les sites historiques qui se situent dans les environs de Pingyao, à savoir un temple bouddhique (Shuanglin), une ancienne résidence et un château souterrain. C’est trop loin dit-il : 80 kilomètres aller retour au total ! Sachant que nous venons de faire plus de 7200 kilomètres, l’argument nous semble pour le moins étrange, surtout quand s’y ajoute la suggestion que nous pouvons toujours prendre un bus !

Nous nous séparons rapidement, prêts à profiter demain de notre liberté retrouvée, laissés à nous-mêmes...
 

mardi 16 octobre 2012

9 octobre : seulement 475 kms jusqu’à Xi’an…


J’ai oublié hier soir de relever le compteur : 6250 kms parcourus en 19 jours (soit une moyenne de 329 kms par jour, pour le moment). L’étape d’aujourd’hui ne devrait pas faire baisser notre moyenne : j’apprends en effet au cours du petit déjeuner que nous allons à Xi’an – 475 kms d’ici –, (à côté de l’endroit où a été découverte en 1974 la célèbre armée des soldats de terre cuite du premier empereur de Chine, Qin Shi Huangdi). Nous avons déjà visité ce site et les environs en 1986, ou 1987, et, bien qu’il soit extraordinaire, nous ne souhaitions pas y retourner, préférant visiter des endroits que nous ne connaissions pas encore… Comme je m’étonne de ce revirement (je suis seule avec YZ à la table du petit déjeuner car JL s’est déjà éclipsé… avant de craquer), YZ commence à parler haut en s’énervant au motif qu’il fait tout cela pour nous, pour que nous soyons contents… etc. Excédée, je lui demande sèchement d’éviter d’élever la voix quand il me parle et je quitte la table… De toute façon, le petit déjeuner ne valait pas le déplacement !

Après un petit tour piéton sur le périf pour aller tirer du fric et une attente d’une bonne demie heure dans le hall de l’hôtel, nous retrouvons YZ et remontons une fois de plus en voiture, en route pour Xi’an où nous devons nous arrêter une nuit avant de partir vers Pingyao (où nous resterons deux ou trois nuits). Nous serons donc mercredi soir à Pékin (alors que notre billet de retour est prévu pour le dimanche : il va falloir s’occuper…) mais auparavant, broum… broum pour toute la journée. Premier objectif : trouver l’autoroute qui, manque de pot, est plus récente que le foutu GPS ; errance… Au bout d’une heure, nous y sommes et fonçons dans le brouillard, tout ragaillardis que nous sommes d’avoir enfin un objectif ! Il fait doux, gris et humide, et l’ambiance est morose dans l’habitacle. Pour m’occuper, je fais les comptes de la collectivité. Alors que je livre mes conclusions dont : « on n’a pas beaucoup dépensé en nourriture… », je me fais une fois de plus rembarrer par YZ qui estime que « c’est déjà pas mal » tandis que JL, qui fait mine d’opiner, déclare que « pourtant on n’a pas mangé du poisson tous les jours ! ». Tu parles : depuis le départ de nos compagnons, nous avons repris nos habitudes frugales ; sandwiches ou bol de nouilles, de préférence dans une station service ou sur un parking d’autoroute… Je me venge en affichant le montant des frais d’essence et de péage : pas très glorieux comme technique mais ça soulage !

Nous enchaînons les tunnels et les ponts qui, sur une centaine de kms, nous permettent de traverser la chaîne des montagnes Qinling, région magnifique de hauts sommets couverts de forêts dans lesquelles vivent à l’état sauvage les célèbres pandas.

 
Il fait lourd et humide (25 à 26°) ; la végétation luxuriante couvre les hautes collines au pied desquelles poussent le maïs et les piments. Des grappes de piments d’un rouge éclatant sont d’ailleurs suspendues sur les façades des petites maisons massées au bas des collines : nous savons pourquoi la cuisine du Sichuan est tellement épicée !


Les  tunnels sont tellement fréquents que JL se lance des défis photographiques : prendre deux tunnels successifs en une fois… Enfin, ce qui devait arriver arrive : nous voici englués dans un énorme embouteillage ; à l’entrée de l’un des 139 tunnels qui agrémentent notre route. Nous sommes rigoureusement immobiles, cernés de toutes parts par des véhicules divers qui se pressent sur trois files (dont une sur la bande d’arrêt d’urgence…) alors que le tunnel ne comporte que deux voies.
Nous ne sommes pas en reste et, à force de ruse, réussissons à nous faufiler jusque dans le tunnel quand nous sommes bloqués par une voiture arrêtée et désertée par ses occupants ! Quand, pour des raisons mystérieuses, tout ça se débloque, nous avons perdu un temps précieux ( !) et notre moyenne en a pris un vieux coup. Maintenant que la voie est ‘libre’, nous fonçons à toute allure, alignant les tunnels en slalomant entre les camions. Comme dit YZ, « personne ne respecte le code de la route ». « Ah bon ! », nous restons pantois d’admiration devant la finesse de l’analyse que nous livre… un spécialiste !


Bref, il est 17h15, la nuit commence à tomber, il nous reste 60 kms à parcourir et nous devons aussi trouver un hôtel (Xi’an est une petite bourgade qui ne comporte que quatre millions et demi d’habitants…). En fait, j’ai tort de persifler car, contre toute attente, tout se passe plutôt bien : YZ nous annonce qu’il a déjà réservé un hôtel, que celui-ci est en pleine ville (juste derrière la tour du Tambour qui est l’un des monuments les plus célèbres de Xi’an), etc. En deux temps et trois mouvements, nous y sommes… éberlués et muets.
 

La ville de Xi’an, qui fut longtemps le point d’aboutissement de la route de la soie, fut l’une des premières capitales de la Chine unifiée, et son cœur politique, jusqu’à son déclin à partir du 14ème siècle. La ville a gardé la forme rectangulaire et le quadrillage géométrique des rues qui caractérisaient l’ancienne capitale. La tour de la Cloche en marque le centre, d’où partent les principales avenues. Cette tour abritait à l’origine une énorme cloche que l’on sonnait à l’aube, tandis que la tour du Tambour servait à marquer la tombée de la nuit. Ces deux édifices, construits au 14ème siècle, ont été reconstruits au 18ème et constamment restaurés depuis, de façon à être aujourd’hui encore, flambants neufs… Nous sommes à un jet de pierre de la tour du Tambour, dans un hôtel situé en pleine ville, à deux pas du quartier musulman.
La communauté des Huis (Chinois musulmans) est avérée à Xi’an depuis le 7ème siècle et le quartier musulman est l’un des plus vivants de la ville. Nous allons manger dans ce quartier puis flânons un moment au milieu des échoppes : soirée détendue, sinon gastronomique…

 
Les premières gouttes de pluie tombent ; alors qu’YZ a décidé d’aller faire des photos de nuit.


En rentrant à l’hôtel, nous parlons un petit moment au téléphone avec Jeanne et Caro, puis allons nous coucher.  
 

vendredi 5 octobre 2012

8 Octobre 2011 : 450 kms à travers le Sichuan


Quand nous sortons de nos couettes, nous sommes saisis par la ‘fraîcheur’ de l’atmosphère ; et pour cause : il fait – 2°. Inutile de dire que notre toilette est des plus sommaires, à l’eau froide (Comme me le recommande à chaque fois YZ « t’aurais dû laisser couler… »). Après un petit déjeuner au resto d’en face, nous voilà partis… dans le brouillard. Alors que je prévoyais une nouvelle expérience de navigation (atteindre le col à 4000 m en doublant un camion dans un virage, en plein brouillard…), je suis déçue ( !) car nous sommes en fait rapidement au dessus des nuages ! C’est une véritable mer d’où émergent quelques sommets enneigés.

 
 
C’est devenu un rite : nous passons une fois de plus les 4000 mètres puis entamons la descente et, cette fois, nous pénétrons la couche de nuages (il fait frais et… humide). Après quelques minutes de familiarisation et une éclaircie toute relative, YZ reprend ses esprits et recommence à doubler dans les virages : chic. Nous repassons à toute allure devant le téléférique emprunté hier (3000 m d’altitude) et continuons notre descente en longeant un petit torrent.
Nous sommes entourés de hautes montagnes rocheuses couvertes de végétation multicolore, façon gorges du Verdon. C’est la rivière Xiaohe (ça veut dire petit fleuve) dans la vallée Dalyun (ça veut dire nuages rouges). Il n’y a pas beaucoup de circulation : une vraie chance car la route se rétrécit de plus en plus. Bref, la route n’est pas large, elle n’est pas droite, mais elle est longue… pour contrefaire les propos d’un politicien français qui a maintenant quitté le devant de la scène ! J’ajoute qu’elle est très belle. Nous traversons quelques villages, quelques cultures, essentiellement du maïs (parcelles minuscules perchées sur les flancs des collines). Insensiblement, la qualité de la route se dégrade : bref, nous retrouvons les petites routes étroites, défoncées et boueuses que nous affectionnons car la vitesse y est limitée… de fait. Il n’y qu’une route mais on s’arrête quand même « pour régler le GPS »… YZ nous informe qu’il reste 74 kms (pour arriver où ? mystère…). La campagne est couverte de maïs et d’ailleurs, la principale occupation des habitants tourne autour du maïs que l’on cueille, épluche, égrène et fait sécher un peu partout. Le fleuve qui serpente au fond de la vallée que nous longeons est de plus en plus gros. Les collines sont couvertes de végétation et quelques fermes sortent de la brume, environnées de terrasses cultivées où poussent essentiellement des légumes. L’ambiance est très humide et le ciel d’un gris uniforme.
Des femmes marchent sur la route, tout en tricotant : ça me rappelle Kunming, lors de notre premier voyage en Chine en 1985 ; de même que le mode de portage des petits enfants, sur le dos de leur mère dans des sortes de sacs à dos rigides en vannerie avec siège incorporé (je n’ai malheureusement pas de photos…). Cet article est d’ailleurs très populaire : qu’il s’agisse de transporter les enfants, le maïs, les briques, ou tout autre matériau utile à la vie quotidienne. Nous retrouvons le Sichuan que nous avons connu il y a 26 ans : sommets vertigineux couverts de végétation, brouillard humide, bananiers, grands bambous (c’est d’ailleurs la patrie des pandas…). Nous traversons maintenant la zone où a eu lieu en 2008 le tremblement de terre dont les traces sont encore visibles : routes défoncées, failles de terrain, travaux, etc.

Nous roulons depuis cinq heures et « on va peut-être faire une petite pause, si vous avez faim… ». Comme la route est étroite et sinueuse et qu’en plus, il n’y a aucun resto, ou bar, ou même station service à l’horizon, on continue, à l’aveuglette, jusqu’à trouver un coin de rue hospitalier où nous faisons l’attraction : nos amis – toujours prévoyants – ayant déballé force provisions sur l’abattant du coffre de leur Cherokee, chacun se restaure à sa façon. Ce repas exquis est bâclé en 10 minutes et hop, Fangio se recolle au volant et reprend la route… en somnolant. Heureusement la densité des travaux faisant que la circulation est la plupart du temps alternée, il est impossible de doubler : nous sommes donc coincés pendant une bonne vingtaine de kms derrière un sympathique bus du plus beau rose ; toujours ça de pris ! Nous roulons depuis une heure dans une banlieue sinistre jusqu’à trouver… l’autoroute sur laquelle nous nous engageons pour faire un bout de conduite à nos amis qui doivent reprendre la route de Pékin. Les adieux sont brefs et nous revoilà en petit comité, frais comme des roses pour entamer notre huitième heure de route : il paraît qu’il ne nous reste qu’une centaine de kms pour arriver on ne nous dit pas où !

YZ au volant lutte contre la somnolence qui le gagne : lui-même s’en rend compte, se tartinant de baume du tigre pour « se réveiller » dit-il… sans recevoir de commentaires. Nous apprenons que nous allons faire étape à Guangyuan en passant par Houba (hop, hop…). Vous ne connaissez pas Guangyuan ? Continuez : d’après mon guide ; c’est la ville qui accueille le plus grand centre de production de plutonium de la Chine, ce qui explique, toujours d’après ce guide (occidental : pouah !) que personne ne s’y arrête *… et bien nous, oui. Nous y serons – peut-être – vers 17 heures, ce qui ne nous fera tout bien considéré, que 9 heures de bagnole dans la journée.

* sauf, dans des temps très anciens, le poète Li Bai (701-762) qui a séjourné dans cette ville appelée à l’époque Shudao ou voie du Sichuan. Elle lui inspira d’ailleurs ces célèbres vers « Dure est la route de Shu, plus dure encore que la montée jusqu’au ciel azuré ». J’allais le dire !  Li Bai trouvait également son inspiration dans la boisson de l’alcool, comme il apparaît dans les quelques vers cités à la fin de ce message.

Les bords de l’autoroute sont plantés de bambous géants (je rappelle que c’est le domaine de prédilection des pandas. Toutefois, nous n’en apercevrons pas : il est rare en effet que ces bestioles se baladent sur, ou même à proximité des autoroutes). Le ciel est uniformément gris, le plafond est bas, et, pour tout dire, c’est un peu triste (surtout après la lumière éclatante des plateaux tibétains). YZ, au volant, téléphone en traçant à 100 à l’heure pendant que JL fait semblant de dormir et que je stresse à mort, cramponnée à mon bloc-notes. Nous doublons tous les camions qui se présentent à nous, par la gauche ou par la droite, c’est selon, et même dans les tunnels, mais ça, c’est la routine… YZ somnole, le pied au plancher. Heureusement, son téléphone n’arrête pas de sonner et j’espère que ça le tient éveillé… Une voiture de police nous double : espoir déçu ; elle ne nous arrête pas. Après une cinquantaine de kilomètres d’autant plus cauchemardesques que le brouillard s’est épaissi, que les camions sont de plus en plus gros, que le téléphone est de plus en plus envahissant, nous arrivons enfin au péage. Il est 17 heures 10, on nous réclame 68 yuans (8 € à peu près) et je trouve que ce n’est pas cher payé pour le soulagement que je ressens !

Reste à trouver un hôtel. Rien de plus facile : en empruntant le périphérique qui traverse la zone industrielle, nous avons toutes les chances de tomber sur un petit bijou et bingo… nous voilà dans un hôtel clinquant, typique des parvenus qui roulent en 4x4 sur l’autoroute et les trottoirs…
 



YZ, fatigué, déclare qu’il n’a pas faim et qu’il va juste se faire une tisane en surfant sur internet… Nous mettons le nez dehors, sortons du parking gardé de l’hôtel et nous retrouvons sur un boulevard (4 voies dans chaque sens…) que nous traversons à grand peine pour atteindre la mini-épicerie dans laquelle nous trouvons de quoi faire un festin (cacahuètes, gâteaux secs et cochonneries en tout genre ; un vrai bonheur). Une fois dans la chambre, j’observe la circulation depuis le balcon, en prise directe sur le périf : le temps de fumer une cigarette, je dénombre 2 mobs pétaradantes, 1 camion manifestement égaré et douze 4x4. Ecœurée, je tire les rideaux et vais prendre une douche. En conjuguant nos efforts, nous réussissons à maîtriser les nombreux boutons électriques ainsi que les innombrables robinets de la salle de bains dont certains (soyons objectifs) crachent même de l’eau chaude ! Bref, nous parvenons à nous laver sans nous ébouillanter et sans nous briser les os en glissant sur le sol de marbre très casse-gueule de la salle de bains. Reste le problème électrique : parmi quatre sortes de prises à notre disposition, une seule accueille le sèche-cheveux (fourni). Manque de pot, le fil est trop court pour que l’on puisse à la fois brancher l’appareil et se voir dans le miroir.

Un petit moment de détente et d’émotion cependant quand nous appelons les enfants ; on bavarde un peu et Adrien nous interprète « au clair de la lune » au piano.  A demain, quand vous aurez médité ces quelques vers du poète Li Bai, qui trouvait également son inspiration dans la boisson de l’alcool, comme vous pouvez le voir.
 

Un jour de printemps, 
le poète exprime ses sentiments au sortir de l’ivresse


Si la vie est comme un grand songe,
A quoi bon tourmenter son existence !
Pour moi je m’enivre tout le jour,
Et quand je viens à chanceler, je m’endors au pied des premières colonnes.
A mon réveil je jette les yeux devant moi :
Un oiseau chante au milieu des fleurs ;
Je lui demande à quelle époque de l’année nous sommes.
Il me répond : A l’époque où le souffle du printemps fait chanter l’oiseau.
Je me sens ému et prêt à soupirer,
Mais je me verse encore à boire ;
Je chante à haute voix jusqu’à ce que la lune brille,
Et à l’heure où finissent mes chants, j’ai de nouveau perdu le sentiment de ce qui m’entoure.


Chanson à boire


Seigneur, ne voyez-vous donc point les eaux du fleuve Jaune ?
Elles descendent du ciel et coulent vers la mer sans jamais revenir .
Seigneur, ne regardez-vous donc point dans les miroirs qui ornent votre noble demeure,
Et ne gémissez-vous pas en apercevant vos cheveux blancs ?
Ils étaient ce matin comme les fils de soie noire,
Et, ce soir, les voilà déjà mêlés de neige.
L’homme qui sait comprendre la vie doit se réjouir chaque fois qu’il le peut,
En ayant soin que jamais sa tasse ne reste vide en face de la lune.
Le ciel ne m’a rien donné sans vouloir que j’en fasse usage ;
Mille pièces d’or que l’on disperse pourront de nouveau se réunir.
Que l’on cuise donc un mouton, que l’on découpe un bœuf, et qu’on soit en joie ;
Il faut qu’ensemble aujourd’hui, nous buvions d’une seule fois trois cents tasses.
Les clochettes et les tambours, la recherche dans les mets ne sont point choses nécessaires,
Ne désirons qu’une longue ivresse, mais si longue qu’on n’en puisse sortir.
Les savants et les sages de l’Antiquité n’ont eu que le silence et l’oubli pour partage ;
Il n’est vraiment que les buveurs dont le nom passe à la postérité.

Détail piquant :
D’après la légende, Li Bai est mort alors que, ivre sur un bateau, il tentait d’attraper le reflet de la lune dans l'eau... Réfléchissez avant de vous resservir un petit verre...

 


 


 

Je