vendredi 5 octobre 2012

8 Octobre 2011 : 450 kms à travers le Sichuan


Quand nous sortons de nos couettes, nous sommes saisis par la ‘fraîcheur’ de l’atmosphère ; et pour cause : il fait – 2°. Inutile de dire que notre toilette est des plus sommaires, à l’eau froide (Comme me le recommande à chaque fois YZ « t’aurais dû laisser couler… »). Après un petit déjeuner au resto d’en face, nous voilà partis… dans le brouillard. Alors que je prévoyais une nouvelle expérience de navigation (atteindre le col à 4000 m en doublant un camion dans un virage, en plein brouillard…), je suis déçue ( !) car nous sommes en fait rapidement au dessus des nuages ! C’est une véritable mer d’où émergent quelques sommets enneigés.

 
 
C’est devenu un rite : nous passons une fois de plus les 4000 mètres puis entamons la descente et, cette fois, nous pénétrons la couche de nuages (il fait frais et… humide). Après quelques minutes de familiarisation et une éclaircie toute relative, YZ reprend ses esprits et recommence à doubler dans les virages : chic. Nous repassons à toute allure devant le téléférique emprunté hier (3000 m d’altitude) et continuons notre descente en longeant un petit torrent.
Nous sommes entourés de hautes montagnes rocheuses couvertes de végétation multicolore, façon gorges du Verdon. C’est la rivière Xiaohe (ça veut dire petit fleuve) dans la vallée Dalyun (ça veut dire nuages rouges). Il n’y a pas beaucoup de circulation : une vraie chance car la route se rétrécit de plus en plus. Bref, la route n’est pas large, elle n’est pas droite, mais elle est longue… pour contrefaire les propos d’un politicien français qui a maintenant quitté le devant de la scène ! J’ajoute qu’elle est très belle. Nous traversons quelques villages, quelques cultures, essentiellement du maïs (parcelles minuscules perchées sur les flancs des collines). Insensiblement, la qualité de la route se dégrade : bref, nous retrouvons les petites routes étroites, défoncées et boueuses que nous affectionnons car la vitesse y est limitée… de fait. Il n’y qu’une route mais on s’arrête quand même « pour régler le GPS »… YZ nous informe qu’il reste 74 kms (pour arriver où ? mystère…). La campagne est couverte de maïs et d’ailleurs, la principale occupation des habitants tourne autour du maïs que l’on cueille, épluche, égrène et fait sécher un peu partout. Le fleuve qui serpente au fond de la vallée que nous longeons est de plus en plus gros. Les collines sont couvertes de végétation et quelques fermes sortent de la brume, environnées de terrasses cultivées où poussent essentiellement des légumes. L’ambiance est très humide et le ciel d’un gris uniforme.
Des femmes marchent sur la route, tout en tricotant : ça me rappelle Kunming, lors de notre premier voyage en Chine en 1985 ; de même que le mode de portage des petits enfants, sur le dos de leur mère dans des sortes de sacs à dos rigides en vannerie avec siège incorporé (je n’ai malheureusement pas de photos…). Cet article est d’ailleurs très populaire : qu’il s’agisse de transporter les enfants, le maïs, les briques, ou tout autre matériau utile à la vie quotidienne. Nous retrouvons le Sichuan que nous avons connu il y a 26 ans : sommets vertigineux couverts de végétation, brouillard humide, bananiers, grands bambous (c’est d’ailleurs la patrie des pandas…). Nous traversons maintenant la zone où a eu lieu en 2008 le tremblement de terre dont les traces sont encore visibles : routes défoncées, failles de terrain, travaux, etc.

Nous roulons depuis cinq heures et « on va peut-être faire une petite pause, si vous avez faim… ». Comme la route est étroite et sinueuse et qu’en plus, il n’y a aucun resto, ou bar, ou même station service à l’horizon, on continue, à l’aveuglette, jusqu’à trouver un coin de rue hospitalier où nous faisons l’attraction : nos amis – toujours prévoyants – ayant déballé force provisions sur l’abattant du coffre de leur Cherokee, chacun se restaure à sa façon. Ce repas exquis est bâclé en 10 minutes et hop, Fangio se recolle au volant et reprend la route… en somnolant. Heureusement la densité des travaux faisant que la circulation est la plupart du temps alternée, il est impossible de doubler : nous sommes donc coincés pendant une bonne vingtaine de kms derrière un sympathique bus du plus beau rose ; toujours ça de pris ! Nous roulons depuis une heure dans une banlieue sinistre jusqu’à trouver… l’autoroute sur laquelle nous nous engageons pour faire un bout de conduite à nos amis qui doivent reprendre la route de Pékin. Les adieux sont brefs et nous revoilà en petit comité, frais comme des roses pour entamer notre huitième heure de route : il paraît qu’il ne nous reste qu’une centaine de kms pour arriver on ne nous dit pas où !

YZ au volant lutte contre la somnolence qui le gagne : lui-même s’en rend compte, se tartinant de baume du tigre pour « se réveiller » dit-il… sans recevoir de commentaires. Nous apprenons que nous allons faire étape à Guangyuan en passant par Houba (hop, hop…). Vous ne connaissez pas Guangyuan ? Continuez : d’après mon guide ; c’est la ville qui accueille le plus grand centre de production de plutonium de la Chine, ce qui explique, toujours d’après ce guide (occidental : pouah !) que personne ne s’y arrête *… et bien nous, oui. Nous y serons – peut-être – vers 17 heures, ce qui ne nous fera tout bien considéré, que 9 heures de bagnole dans la journée.

* sauf, dans des temps très anciens, le poète Li Bai (701-762) qui a séjourné dans cette ville appelée à l’époque Shudao ou voie du Sichuan. Elle lui inspira d’ailleurs ces célèbres vers « Dure est la route de Shu, plus dure encore que la montée jusqu’au ciel azuré ». J’allais le dire !  Li Bai trouvait également son inspiration dans la boisson de l’alcool, comme il apparaît dans les quelques vers cités à la fin de ce message.

Les bords de l’autoroute sont plantés de bambous géants (je rappelle que c’est le domaine de prédilection des pandas. Toutefois, nous n’en apercevrons pas : il est rare en effet que ces bestioles se baladent sur, ou même à proximité des autoroutes). Le ciel est uniformément gris, le plafond est bas, et, pour tout dire, c’est un peu triste (surtout après la lumière éclatante des plateaux tibétains). YZ, au volant, téléphone en traçant à 100 à l’heure pendant que JL fait semblant de dormir et que je stresse à mort, cramponnée à mon bloc-notes. Nous doublons tous les camions qui se présentent à nous, par la gauche ou par la droite, c’est selon, et même dans les tunnels, mais ça, c’est la routine… YZ somnole, le pied au plancher. Heureusement, son téléphone n’arrête pas de sonner et j’espère que ça le tient éveillé… Une voiture de police nous double : espoir déçu ; elle ne nous arrête pas. Après une cinquantaine de kilomètres d’autant plus cauchemardesques que le brouillard s’est épaissi, que les camions sont de plus en plus gros, que le téléphone est de plus en plus envahissant, nous arrivons enfin au péage. Il est 17 heures 10, on nous réclame 68 yuans (8 € à peu près) et je trouve que ce n’est pas cher payé pour le soulagement que je ressens !

Reste à trouver un hôtel. Rien de plus facile : en empruntant le périphérique qui traverse la zone industrielle, nous avons toutes les chances de tomber sur un petit bijou et bingo… nous voilà dans un hôtel clinquant, typique des parvenus qui roulent en 4x4 sur l’autoroute et les trottoirs…
 



YZ, fatigué, déclare qu’il n’a pas faim et qu’il va juste se faire une tisane en surfant sur internet… Nous mettons le nez dehors, sortons du parking gardé de l’hôtel et nous retrouvons sur un boulevard (4 voies dans chaque sens…) que nous traversons à grand peine pour atteindre la mini-épicerie dans laquelle nous trouvons de quoi faire un festin (cacahuètes, gâteaux secs et cochonneries en tout genre ; un vrai bonheur). Une fois dans la chambre, j’observe la circulation depuis le balcon, en prise directe sur le périf : le temps de fumer une cigarette, je dénombre 2 mobs pétaradantes, 1 camion manifestement égaré et douze 4x4. Ecœurée, je tire les rideaux et vais prendre une douche. En conjuguant nos efforts, nous réussissons à maîtriser les nombreux boutons électriques ainsi que les innombrables robinets de la salle de bains dont certains (soyons objectifs) crachent même de l’eau chaude ! Bref, nous parvenons à nous laver sans nous ébouillanter et sans nous briser les os en glissant sur le sol de marbre très casse-gueule de la salle de bains. Reste le problème électrique : parmi quatre sortes de prises à notre disposition, une seule accueille le sèche-cheveux (fourni). Manque de pot, le fil est trop court pour que l’on puisse à la fois brancher l’appareil et se voir dans le miroir.

Un petit moment de détente et d’émotion cependant quand nous appelons les enfants ; on bavarde un peu et Adrien nous interprète « au clair de la lune » au piano.  A demain, quand vous aurez médité ces quelques vers du poète Li Bai, qui trouvait également son inspiration dans la boisson de l’alcool, comme vous pouvez le voir.
 

Un jour de printemps, 
le poète exprime ses sentiments au sortir de l’ivresse


Si la vie est comme un grand songe,
A quoi bon tourmenter son existence !
Pour moi je m’enivre tout le jour,
Et quand je viens à chanceler, je m’endors au pied des premières colonnes.
A mon réveil je jette les yeux devant moi :
Un oiseau chante au milieu des fleurs ;
Je lui demande à quelle époque de l’année nous sommes.
Il me répond : A l’époque où le souffle du printemps fait chanter l’oiseau.
Je me sens ému et prêt à soupirer,
Mais je me verse encore à boire ;
Je chante à haute voix jusqu’à ce que la lune brille,
Et à l’heure où finissent mes chants, j’ai de nouveau perdu le sentiment de ce qui m’entoure.


Chanson à boire


Seigneur, ne voyez-vous donc point les eaux du fleuve Jaune ?
Elles descendent du ciel et coulent vers la mer sans jamais revenir .
Seigneur, ne regardez-vous donc point dans les miroirs qui ornent votre noble demeure,
Et ne gémissez-vous pas en apercevant vos cheveux blancs ?
Ils étaient ce matin comme les fils de soie noire,
Et, ce soir, les voilà déjà mêlés de neige.
L’homme qui sait comprendre la vie doit se réjouir chaque fois qu’il le peut,
En ayant soin que jamais sa tasse ne reste vide en face de la lune.
Le ciel ne m’a rien donné sans vouloir que j’en fasse usage ;
Mille pièces d’or que l’on disperse pourront de nouveau se réunir.
Que l’on cuise donc un mouton, que l’on découpe un bœuf, et qu’on soit en joie ;
Il faut qu’ensemble aujourd’hui, nous buvions d’une seule fois trois cents tasses.
Les clochettes et les tambours, la recherche dans les mets ne sont point choses nécessaires,
Ne désirons qu’une longue ivresse, mais si longue qu’on n’en puisse sortir.
Les savants et les sages de l’Antiquité n’ont eu que le silence et l’oubli pour partage ;
Il n’est vraiment que les buveurs dont le nom passe à la postérité.

Détail piquant :
D’après la légende, Li Bai est mort alors que, ivre sur un bateau, il tentait d’attraper le reflet de la lune dans l'eau... Réfléchissez avant de vous resservir un petit verre...

 


 


 

Je

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