Quand nous sortons
de nos couettes, nous sommes saisis par la ‘fraîcheur’ de l’atmosphère ;
et pour cause : il fait – 2°. Inutile de dire que notre toilette est des
plus sommaires, à l’eau froide (Comme me le recommande à chaque fois YZ
« t’aurais dû laisser couler… »). Après un petit déjeuner au resto
d’en face, nous voilà partis… dans le brouillard. Alors que je prévoyais une
nouvelle expérience de navigation (atteindre le col à 4000 m en doublant
un camion dans un virage, en plein brouillard…), je suis déçue ( !) car
nous sommes en fait rapidement au dessus des nuages ! C’est une véritable
mer d’où émergent quelques sommets enneigés.
C’est devenu un rite : nous
passons une fois de plus les 4000 mètres puis entamons la descente et, cette
fois, nous pénétrons la couche de nuages (il fait frais et… humide). Après
quelques minutes de familiarisation et une éclaircie toute relative, YZ reprend
ses esprits et recommence à doubler dans les virages : chic. Nous
repassons à toute allure devant le téléférique emprunté hier (3000 m
d’altitude) et continuons notre descente en longeant un petit torrent.
Nous
sommes entourés de hautes montagnes rocheuses couvertes de végétation multicolore,
façon gorges du Verdon. C’est la rivière Xiaohe (ça veut dire petit fleuve) dans la vallée Dalyun (ça
veut dire nuages rouges). Il n’y a pas beaucoup de circulation : une vraie
chance car la route se rétrécit de plus en plus. Bref, la route n’est pas large,
elle n’est pas droite, mais elle est longue… pour contrefaire les propos d’un
politicien français qui a maintenant quitté le devant de la scène !
J’ajoute qu’elle est très belle. Nous traversons quelques villages, quelques
cultures, essentiellement du maïs (parcelles minuscules perchées sur les flancs
des collines). Insensiblement, la qualité de la route se dégrade : bref,
nous retrouvons les petites routes étroites, défoncées et boueuses que nous
affectionnons car la vitesse y est limitée… de fait. Il n’y qu’une route mais
on s’arrête quand même « pour régler le GPS »… YZ nous informe qu’il
reste 74 kms (pour arriver où ? mystère…). La campagne est couverte de
maïs et d’ailleurs, la principale occupation des habitants tourne autour du
maïs que l’on cueille, épluche, égrène et fait sécher un peu partout. Le fleuve
qui serpente au fond de la vallée que nous longeons est de plus en plus gros.
Les collines sont couvertes de végétation et quelques fermes sortent de la
brume, environnées de terrasses cultivées où poussent essentiellement des
légumes. L’ambiance est très humide et le ciel d’un gris uniforme.
Des femmes
marchent sur la route, tout en tricotant : ça me rappelle Kunming, lors de
notre premier voyage en Chine en 1985 ; de même que le mode de portage des
petits enfants, sur le dos de leur mère dans des sortes de sacs à dos rigides
en vannerie avec siège incorporé (je n’ai malheureusement pas de photos…). Cet
article est d’ailleurs très populaire : qu’il s’agisse de transporter les
enfants, le maïs, les briques, ou tout autre matériau utile à la vie
quotidienne. Nous retrouvons le Sichuan que nous avons connu il y a 26
ans : sommets vertigineux couverts de végétation, brouillard humide,
bananiers, grands bambous (c’est d’ailleurs la patrie des pandas…). Nous
traversons maintenant la zone où a eu lieu en 2008 le tremblement de terre dont
les traces sont encore visibles : routes défoncées, failles de terrain,
travaux, etc.
Nous roulons
depuis cinq heures et « on va peut-être faire une petite pause, si vous
avez faim… ». Comme la route est étroite et sinueuse et qu’en plus, il n’y
a aucun resto, ou bar, ou même station service à l’horizon, on continue, à
l’aveuglette, jusqu’à trouver un coin de rue hospitalier où nous faisons
l’attraction : nos amis – toujours prévoyants – ayant déballé force
provisions sur l’abattant du coffre de leur Cherokee, chacun se restaure à sa
façon. Ce repas exquis est bâclé en 10 minutes et hop, Fangio se recolle au
volant et reprend la route… en somnolant. Heureusement la densité des travaux
faisant que la circulation est la plupart du temps alternée, il est impossible
de doubler : nous sommes donc coincés pendant une bonne vingtaine de kms
derrière un sympathique bus du plus beau rose ; toujours ça de pris !
Nous roulons depuis une heure dans une banlieue sinistre jusqu’à trouver…
l’autoroute sur laquelle nous nous engageons pour faire un bout de conduite à
nos amis qui doivent reprendre la route de Pékin. Les adieux sont brefs et nous
revoilà en petit comité, frais comme des roses pour entamer notre huitième
heure de route : il paraît qu’il ne nous reste qu’une centaine de kms pour
arriver on ne nous dit pas où !
YZ au volant lutte
contre la somnolence qui le gagne : lui-même s’en rend compte, se
tartinant de baume du tigre pour « se réveiller » dit-il… sans
recevoir de commentaires. Nous apprenons que nous allons faire étape à
Guangyuan en passant par Houba (hop, hop…). Vous ne connaissez pas
Guangyuan ? Continuez : d’après mon guide ; c’est la ville qui
accueille le plus grand centre de production de plutonium de la Chine, ce qui
explique, toujours d’après ce guide (occidental : pouah !) que
personne ne s’y arrête *… et bien nous, oui. Nous y serons – peut-être – vers
17 heures, ce qui ne nous fera tout bien considéré, que 9 heures de bagnole
dans la journée.
* sauf, dans des temps très anciens, le poète Li Bai (701-762) qui a séjourné dans cette ville appelée à l’époque Shudao ou voie du Sichuan. Elle lui inspira d’ailleurs ces célèbres vers « Dure est la route de Shu, plus dure encore que la montée jusqu’au ciel azuré ». J’allais le dire ! Li Bai trouvait également son inspiration dans la boisson de l’alcool, comme il apparaît dans les quelques vers cités à la fin de ce message.
Les bords de
l’autoroute sont plantés de bambous géants (je rappelle que c’est le domaine de
prédilection des pandas. Toutefois, nous n’en apercevrons pas : il est
rare en effet que ces bestioles se baladent sur, ou même à proximité des
autoroutes). Le ciel est uniformément gris, le plafond est bas, et, pour tout
dire, c’est un peu triste (surtout après la lumière éclatante des plateaux
tibétains). YZ, au volant, téléphone en traçant à 100 à l’heure pendant que JL
fait semblant de dormir et que je stresse à mort, cramponnée à mon bloc-notes.
Nous doublons tous les camions qui se présentent à nous, par la gauche ou par
la droite, c’est selon, et même dans les tunnels, mais ça, c’est la routine… YZ
somnole, le pied au plancher. Heureusement, son téléphone n’arrête pas de
sonner et j’espère que ça le tient éveillé… Une voiture de police nous
double : espoir déçu ; elle ne nous arrête pas. Après une
cinquantaine de kilomètres d’autant plus cauchemardesques que le brouillard
s’est épaissi, que les camions sont de plus en plus gros, que le téléphone est
de plus en plus envahissant, nous arrivons enfin au péage. Il est 17 heures 10,
on nous réclame 68 yuans (8 € à peu près) et je trouve que ce n’est pas cher
payé pour le soulagement que je ressens !
Reste à trouver un
hôtel. Rien de plus facile : en empruntant le périphérique qui traverse la
zone industrielle, nous avons toutes les chances de tomber sur un petit bijou
et bingo… nous voilà dans un hôtel clinquant, typique des parvenus qui roulent
en 4x4 sur l’autoroute et les trottoirs…
YZ, fatigué,
déclare qu’il n’a pas faim et qu’il va juste se faire une tisane en surfant sur
internet… Nous mettons le nez dehors, sortons du parking gardé de l’hôtel et
nous retrouvons sur un boulevard (4 voies dans chaque sens…) que nous
traversons à grand peine pour atteindre la mini-épicerie dans laquelle nous
trouvons de quoi faire un festin (cacahuètes, gâteaux secs et cochonneries en
tout genre ; un vrai bonheur). Une fois dans la chambre, j’observe la
circulation depuis le balcon, en prise directe sur le périf : le temps de
fumer une cigarette, je dénombre 2 mobs pétaradantes, 1 camion manifestement
égaré et douze 4x4. Ecœurée, je tire les rideaux et vais prendre une douche. En
conjuguant nos efforts, nous réussissons à maîtriser les nombreux boutons
électriques ainsi que les innombrables robinets de la salle de bains dont
certains (soyons objectifs) crachent même de l’eau chaude ! Bref, nous
parvenons à nous laver sans nous ébouillanter et sans nous briser les os en
glissant sur le sol de marbre très casse-gueule de la salle de bains. Reste le
problème électrique : parmi quatre sortes de prises à notre disposition,
une seule accueille le sèche-cheveux (fourni). Manque de pot, le fil est trop
court pour que l’on puisse à la fois brancher l’appareil et se voir dans le
miroir.
Un petit moment de
détente et d’émotion cependant quand nous appelons les enfants ; on
bavarde un peu et Adrien nous interprète « au clair de la lune » au
piano. A demain, quand vous aurez médité ces quelques vers du poète Li Bai, qui trouvait également son inspiration dans la boisson de l’alcool, comme vous pouvez le voir.
Un
jour de printemps,
le poète exprime ses sentiments au sortir de l’ivresse
Si
la vie est comme un grand songe,
A
quoi bon tourmenter son existence !Pour moi je m’enivre tout le jour,
Et quand je viens à chanceler, je m’endors au pied des premières colonnes.
A mon réveil je jette les yeux devant moi :
Un oiseau chante au milieu des fleurs ;
Je lui demande à quelle époque de l’année nous sommes.
Il me répond : A l’époque où le souffle du printemps fait chanter l’oiseau.
Je me sens ému et prêt à soupirer,
Mais je me verse encore à boire ;
Je chante à haute voix jusqu’à ce que la lune brille,
Et à l’heure où finissent mes chants, j’ai de nouveau perdu le sentiment de ce qui m’entoure.
Chanson à boire
Seigneur,
ne voyez-vous donc point les eaux du fleuve Jaune ?
Elles
descendent du ciel et coulent vers la mer sans jamais revenir .Seigneur, ne regardez-vous donc point dans les miroirs qui ornent votre noble demeure,
Et ne gémissez-vous pas en apercevant vos cheveux blancs ?
Ils étaient ce matin comme les fils de soie noire,
Et, ce soir, les voilà déjà mêlés de neige.
L’homme qui sait comprendre la vie doit se réjouir chaque fois qu’il le peut,
En ayant soin que jamais sa tasse ne reste vide en face de la lune.
Le ciel ne m’a rien donné sans vouloir que j’en fasse usage ;
Mille pièces d’or que l’on disperse pourront de nouveau se réunir.
Que l’on cuise donc un mouton, que l’on découpe un bœuf, et qu’on soit en joie ;
Il faut qu’ensemble aujourd’hui, nous buvions d’une seule fois trois cents tasses.
Les clochettes et les tambours, la recherche dans les mets ne sont point choses nécessaires,
Ne désirons qu’une longue ivresse, mais si longue qu’on n’en puisse sortir.
Les savants et les sages de l’Antiquité n’ont eu que le silence et l’oubli pour partage ;
Il n’est vraiment que les buveurs dont le nom passe à la postérité.
Détail piquant :
D’après la légende, Li Bai est mort alors que, ivre sur un bateau, il tentait d’attraper le reflet de la lune dans l'eau... Réfléchissez avant de vous resservir un petit verre...
Je
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