Voici le message érudit que vous attendez tous pour en savoir plus sur les grottes de Dunhuang.
JL, qui en est l'auteur, a mené une recherche approfondie pour vous faire partager le plaisir que nous avons éprouvé lors de ces visites. Ce message n'est qu'une introduction un peu ardue, mais nécessaire... pour apprécier pleinement les suivants qui seront, eux abondamment illustrés.
La documentation.
Dès notre retour, j’ai entrepris l’étude croisée des deux documents en ma possession : le catalogue de l’exposition de 1983 à Paris ‘Fresques du désert de Gobi’ (Editions du CNRS) et le catalogue ‘China Dunhuang’ édité en 2006 par l’académie de recherche de Dunhuang et acheté sur place. Outre des commentaires savants, j’ai ainsi trouvé vingt-quatre photos concernant sept des dix grottes que nous avons visitées. Trois grottes sont datées de la première période : 439-581 (dynasties des Wei du Nord, des Wei de l’Ouest et des Zhou du Nord) et quatre de la seconde période : 581-907 (dynastie des Tang). Le 26 septembre 2011 en fin de matinée, le circuit de notre guide-interprète ne comportait pas de grottes de la troisième période : 907-1368 (dynasties des Song, des Xia de l’Ouest et des Yuan). Nous nous sommes consolés a posteriori en nous disant que c’était une période tardive d’intérêt moindre…
Le premier document de 1983 donne la taille des ‘objets’ photographiés, pas celui de 2006. Mais la différence la plus évidente concerne les couleurs d’une même statue ou d’une même fresque. Les couleurs du document de 1983 sont plus crues, plus froides que celles du document de 2006 plus chaudes, à dominante rouge. S’agit-il d’une évolution des objets eux-mêmes exposés depuis plus de vingt ans à la visite des touristes et à diverses pollutions ? S’agit-il d’une évolution du matériel de photographie, ou bien de l’évolution des techniques de retouche des photos d’art ? Nous ne pouvons bien sûr pas comparer avec nos propres photos…
Lorsque les deux documents présentent des angles de prise de vue, des échelles, des cadrages différents, cela permet de bien restituer le contexte de l’objet en question. Cet examen attentif de diverses photos et commentaires d’un même objet a d’ailleurs tendance à se substituer au souvenir visuel que nous avons pu conserver de la visite ‘in live’ dans les conditions décrites dans le post précédent ! Pensée émue pour tous les kilomètres parcourus pour pénétrer dans ces fameuses grottes !Une troisième source documentaire n’a pas encore été évoquée. C’est le ‘Centre de recherches de Dunhuang’ construit avec l’aide des Japonais sur le site même. Huit grottes ont été reconstituées en grandeur nature à l’aide de photographies collées aux murs. L’éclairage est trop violent au bas des panneaux pour réaliser des œuvres d’art. Je vous montre le maximum de ce qu’on peut faire avec cette photo réalisée par YZ (14 Mo !). Il s’agit de la célèbre fresque ‘Guanyin à mille bras et mille yeux’ de la Grotte 3 Dynastie mongole des Yuan (1227-1368), que nous n’avons pas visitée.
Depuis qu’un empereur Tang a été séduit par cette représentation de bodhisattva de style lamaïque, les peintres de l’académie impériale ont reçu l’ordre de la copier et les courtisanes de la broder à des milliers d’exemplaires afin de les répandre dans la Chine entière. La fresque de la grotte 3, réalisée en 1357, est considérée comme la plus belle. Sa bonne conservation serait due à la technique de fabrication. Elle est peinte sur un fond humide composé d’argile et de sable fin alors que, dans les grottes antérieures, les peintures étaient exécutées sur un support sec, recouvert d’un enduit blanc.
Diverses équipes internationales participent sur place à la conservation des peintures murales comme par exemple le J. Paul Getty Trust dans la grotte 85. Le Centre de recherche expose l’état d’avancement de ces travaux.
Dernière minute : Je viens de découvrir une quatrième source sur … You Tube ! Un site génial « Daibusshi’s channel » propose (entre autres) des petits films de 10 minutes consacrés à certaines grottes de Mogao, dont certaines que nous avons visitées (je donnerai les liens en temps utile). Même si la teneur des commentaires échappe (ils sont en chinois…) ces films donnent une bonne vision d’ensemble d’une grotte non encombrée de touristes … comme nous ne l’avons pas vue sur place !
La technique des fresques murales et des statues peintes.
L’art de la peinture murale est attesté dès la dynastie des Zhou (XI° siècle avant J.C.) époque où l’on réalisait les portraits des souverains sur les murs du Temple des Ancêtres. Ensuite, on fit construire des palais dans le seul but d’exécuter des peintures murales relatant des épisodes historiques, des scènes édifiantes de piété filiale, des portraits de femmes de grande vertu, …
Dans les grottes de Dunhuang, les parois sont préalablement recouvertes de mortier : mélange d’eau, d’argile, de boue de rivière et de matières végétales ou animales (paille hachée, poils d’animaux, fumier). Le mortier est appliqué en plusieurs couches superposées. La première couche appliquée sur la paroi est épaisse et sa surface reste crépie pour recevoir une seconde couche d’un enduit plus mince, lissé avec un tampon humide lorsqu’il est sec à 80%. La dernière couche passée à la brosse est un mélange de kaolin, de craie pulvérisée et de colle animale qui évite les craquelures de surface provoquées par le séchage. Cet apprêt forme également une pellicule isolante protégeant les couleurs de la détérioration par le salpêtre qui remonte par capillarité de la surface du mortier. Sous les dynasties Wei (439-556) on ajoutait au dernier enduit de l’oxyde de fer pour obtenir une teinte de fond rouge.
Avant d’être peintes les figures sont esquissées au charbon de bois ou au stylet, puis reprises à l’ocre, au rouge ou à l’encre de Chine. Les différents éléments de la fresque sont ensuite peints en aplat par application de couleurs différentes. On réalise des nuances d’une même couleur en appliquant des couches successives de peinture.
Les colorants utilisés sont principalement d’origine minérale, parfois végétale ou animale. Le blanc est souvent employé comme couche de fond (blanc de plomb). On observe aussi un blanc nacré très fin obtenu par broyage de la nacre de coquillage d’eau douce. Le bleu dérive de l’indigo et de l’azurite (carbonate de cuivre). Le rouge-orangé provient du litharge (protoxyde de plomb) et le rouge vermillon du cinabre (sulfure de mercure). Une gamme variée de rouges est obtenue grâce à diverses terres colorées et au carthame (plante spécialement cultivée pour être utilisée comme colorant). Le jaune vif provient de l’orpiment (sulfure naturel d’arsenic) alors que la gomme-gutte et les terres donnent différentes nuances de jaune. Quant au vert, il provient de la malachite (carbonate basique naturel du cuivre), alors que le noir est de l’encre de Chine fabriquée à partir de la suie après calcination de certains bois et d’os d’animaux.
Dans l’ensemble, les couleurs ont gardé leur fraicheur et leur vivacité d’origine. Certains rouges ont cependant été décolorés par la lumière. D ’autre part, le blanc de plomb utilisé à l’époque des Wei pour donner de la profondeur au rouge ou au rose des chairs des personnages a provoqué l’oxydation de ces couleurs dont certaines sont devenues presque noires.
La matière de la falaise dans laquelle sont creusées les grottes est un aggloméré de galets et de sable. Etant très friable, cet aggloméré ne permet pas la taille de statues. Les statues de Dunhuang ne sont donc pas taillées mais modelées en terre sur une armature de bois, puis peintes après séchage. On en a répertorié plus de 2000 toutes placées à l’intérieur des grottes.
La situation géopolitique en Asie centrale jusqu’au début du 5° siècle.
Les régions situées entre Moyen-Orient, Chine et Inde sont peuplées depuis l’époque néolithique et ont toujours été convoitées par les souverains locaux. Les principales sources historiques sont évidemment chinoises. D’après le Hanshu (Annales de la dynastie Han ), le souverain légendaire Shun y lutta contre plusieurs tribus, dont les San Miao.
A l’époque de bronze, vers le XVI° siècle avant J.C., les San Miao dominent toute la région et mènent de nombreuses attaques contre les territoires chinois. Les souverains de la dynastie Shang finissent par les soumettre, mais à l’époque des Royaumes Combattants (475-221 avant J.C.), ce sont les Yuezhi qui prennent le contrôle de l’ensemble du corridor de Hexi.
Durant la dynastie des Qin (221-207 avant J.C.), les Xiongnu originaires de Mongolie réussissent à chasser les Yuezhi au-delà du Pamir dans la région de l’actuel Afghanistan. Les empereurs chinois entreprennent de construire la Grande Muraille pour lutter contre les incursions de la cavalerie Xiongnu. Ces barbares ont inventé des techniques de guerre s’appuyant sur des cavaliers tirant à l’arc depuis leurs chevaux, bien plus mobiles et dangereux que les fantassins chinois entourant de lourds chars de guerre. Les premiers empereurs de la dynastie Han (207 avant J.C.-220 après J.C.) ont beaucoup de difficultés à contenir les Xiongnu par la force. Ils élaborent alors une stratégie d’alliance en leur offrant chaque année des pièces de soie, des aliments et de l’alcool, … puis des princesses chinoises en mariage. Devant l’échec de ces tactiques, l’empereur Han Wudi (140-87 avant J.C.) mène de longs préparatifs pendant une dizaine d’années et organise une contre-attaque de grande envergure qui aboutit à une bataille définitive en 121 avant J.C. Pour protéger ses nouveaux territoires, il installe ensuite une présence militaire permanente dans des garnisons jalonnant la route menant à la capitale Chang ’an (l’actuelle Xi’an) ainsi que des fermes d’Etat peuplées de bannis et déportés divers du centre de la Chine afin de développer une agriculture sédentaire dans ces régions de nomades. C’est lui qui donne à Dunhuang son nom actuel (grandeur et prospérité) pour célébrer sa victoire et une nouvelle ère de paix.
La région est alors le passage obligé des routes commerciales reliant la Chine et les pays de l’Ouest (les fameuses routes de la soie) : Inde, Grèce, Empire romain. Cette situation en fait un site cosmopolite où se brassent les idées venues de l’Ouest, avant leur pénétration au cœur de la Chine. A la fin de la dynastie des Han (220 après J.C.), l’empire chinois disparaît au profit de nombreuses dynasties éphémères et de luttes perpétuelles pour le pouvoir central. La situation est relativement plus calme dans les régions occidentales.
En 265 Zhu Fahu, un grand maitre bouddhiste non-indien (sa famille d’origine Yuezhi était établie à Dunhuang depuis plusieurs générations), suit son maitre indien au Gandhara (Nord Ouest de l’actuel Pakistan) pour recueillir 160 volumes de textes sacrés écrits en sanskrit. Il consacre le reste de sa vie à traduire ces textes et à fonder à Chang’an une importante école bouddhiste qui connaitra son apogée avec Kumarajiva. Ce dernier était originaire du petit royaume de Koutcha au Cachemire occupé en 384 par le général chinois Lü Guang. Après de nombreux déplacements dans divers royaumes de la région, il arrive à Chang’an en 402 à l’âge de 60 ans comme « prise de guerre » et se consacre à la traduction des plus grands textes du bouddhisme Mahayana (Grand Véhicule).
L’oasis de Dunhuang possédait déjà un monastère hébergeant des grands maitres ainsi que plusieurs temples et pagodes quand fut construite en 366 la première grotte par le moine Luzun. A l’origine, les grottes sont de petite taille et servent de salles de méditation pour un ou plusieurs moines aimant méditer dans des lieux retirés. Au fil des siècles, elles vont devenir plus vastes, brillamment décorées et servir à la pratique de rites et à l’éducation de fidèles venus en pèlerinage. L’ensemble de Mogao n’est pas le seul de la région et nous visiterons demain l’un des autres sites : Xiqianfo Dong (les grottes de l’Ouest aux mille bouddha).
Les grottes de Mogao visitées.
L’idée de base était de numériser certaines illustrations de mes deux catalogues français et chinois pour vous faire partager mes réflexions comparatives. En cherchant des références sur le roi Asura, j’ai trouvé sur Internet un site qui a reproduit la plupart des illustrations du catalogue CNRS ! Qu’est-ce qui me reste à faire d’original ? Me limiter à des commentaires sur les seules grottes que nous avons visitées.
J’ai eu le coup de foudre sur le catalogue du CNRS (ci-contre) et je l’ai mise en fond d’écran sur mon ordinateur. Comme les anges, les bodhisattva n’ont pas de sexe, mais je l’ai identifiée comme une femme …
Dans le catalogue chinois, on la voit de plain-pied (à gauche sur la photo) encadrant avec une collègue une grotte abritant deux bouddha assis avec un genou replié.
Est-ce bien vraiment la même que celle du catalogue CNRS qui est coupée au niveau des avant-bras et dont les yeux au beurre noir ont été maquillés ? A-t-elle été prise en photo lors d’une restauration datant d’avant 1983 ?
Que d’énigmes pour nos fidèles lecteurs dans cette grotte, la plus ancienne de notre visite !
Ouah c'est du lourd !
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